jeudi 13 février 2020

100 - De la pourriture à la lumière

Parfois mes pensées, à la fois lucides et morbides, m'emmènent jusque dans les gouffres de la réalité la plus crue.

Ne voulant surtout pas occulter les aspects certes dérangeants mais réalistes des choses de ce monde, j'accepte d'ouvrir les yeux sur l'immonde, l'inconcevable, l'horreur.

Ainsi je décide de regarder le Soleil en face, c'est-à-dire le vrai visage de la mort, au sens propre du terme.

J'ose le vertige anti-esthétique.

J'imagine les traits de Farrah Fawcett sous l'ombre fatale, soumis aux lois du recyclage, se corrompant, s'anéantissant progressivement dans le secret de la tombe.

Alors, avec courage et audace, j'essaie de me figurer l'ignoble grimace résultant du processus de la décomposition des chairs. Avec la froide objectivité, le glacial détachement de l'oeil strictement scientifique, mon esprit me montre les hurlements et cauchemars de la putréfaction s'exerçant sur cette incarnation de la pure beauté.

Mais bien vite, et c'est un grand mystère que je ne puis expliquer, que je constate simplement, ma perception des distorsions naturelles issues de la pourriture du corps de cette femme change de manière extraordinaire !

Depuis les vues profondes -ou légères- de mon âme, les lambeaux de matière organique se réorganisent alors dans un nouveau tourbillon moléculaire pour former d'autres images, faire naître un portrait sépulcral différent.

Les particules désagrégées composant le bouillon macabre s'engagent dans un mécanisme de transformation des éléments encore plus affolant que celui attendu...

Sa physionomie liquéfiée par la destruction terrestre prend soudain des allures célestes.

Ses cheveux enroulés autour de son crâne se mettent à étinceler. Sa tête devient une sorte de tournesol sidéral. Et lentement les substances éparses vouées à la ruine se mettent à tourner, l'ordure et le chaos se métamorphosant en une harmonieuse expression...

Et tout refleurit, tout brille, tout est lumière.

Au lieu de l'atroce déchirure de ses yeux, de ses joues, de sa bouche, au lieu de l'affreux rictus d'un cadavre, de l'horrible sourire d'une charogne, m'apparaît une splendide vision. 

A la place d'un épouvantable amas désintégré de pestilence, je vois les spirales d'une galaxie.

99 - Rat crevé

En croisant ce matin un rat crevé, éventré, faisandé au bord d’un égout, je décidai de l’incorporer à ce présent texte et de l’associer à Farrah Fawcett.

Périlleux exercice littéraire, il est vrai.

Par une astucieuse gymnastique de plume, je dois donc faire un lien fulgurant entre le cadavre puant du rongeur et la face parfumée de la radieuse texane.

Histoire de briller pour rien. Ou de me ridiculiser avec fruit.

Partir de la charogne de cette bête aux viscères ouverts et putrides pour arriver au sommet de ce qui, sur Terre et bien au-delà, a été conçu en terme de perfection esthétique. Pas facile, penseront les âmes frileuses.

Je relève pourtant ce défi sans palme ni bénéfice. Mais plein de panache et d’artifices.

Que pourrais-je donc dire de sombre ou de lumineux, de sot ou de sensé, d’opaque ou de fin pour mettre de la flamme sur de la neige et rendre la pierre aussi digeste que l’azur ?

Tout en me posant ces questions puériles, stériles, frivoles, du bout de ma chaussure je m’amusais à remuer les restes de l’animal en décomposition.

Et puis, dans un subit élan de dégoût mêlé de mépris pour ce que fut ce nuisible de son vivant et ce qu’il est devenu après trépas, j’éjectai le cadavre d’un coup de pied leste et précis. Je le fis voltiger assez haut avant qu’il ne valdingue en quelque recoin éloigné.

En fait, sans le vouloir, je l’avais balancé dans un parterre de roses magnifiques.


Et c’est là que mon texte prend racine.

Cette créature misérable, c’est une ordure de notre monde que j'ai jetée dans un jardin floral rédempteur.

Tandis que Farrah Fawcet c’est au contraire un champ de fleurs qui s’est déversé sur les misères de notre monde.

jeudi 6 février 2020

98 - L'immortalité du sable

Elle était tout en ciel et denture.

Une tête de Lune au visage brillant. Avec une bouche ouverte sur un océan de brumes mystérieuses et de bleu glacé qui me rappellent les âpres étendues maritimes de Cayeux-sur-Mer.

A travers son front étincelant je vois, aujourd'hui encore, des sables lointains, des galets claquants, des vagues fécondes et de l'écume comme des flammes.

L'évocation de sa face florale aux reflets lunaires rend belles les flots sombres, tristes et infinis de la mer du Nord.

Morte depuis si longtemps, elle rend éclatantes les clartés de mon enfance et teinte d'azur le reste de  mes jours.

L'astre rayonna, se flétrit, devint charogne, puis ossements.

Mais demeure pure lumière par la toute puissance de sa mâchoire ogresque, support marmoréen de son sourire céleste qui dans le coeur des vrais esthètes laisse un impérissable sentiment de beauté éthéréenne.

Je ferme les yeux et je revois ses traits ineffables dans les immensités de mon âme. Je les rouvre et je l'aperçois dans le trouble de l'horizon. Je m'endors et son fantôme onirique m'apparaît au coeur de la nuit. Je me réveille et le rêve devient impression dure comme la pierre.

Preuves de l'éternité de la cause esthétique qu'incarna Farrah Fawcett.